L’Allopolyploïdie : quand deux génomes étrangers fusionnent
L’allopolyploïdie est un mécanisme d’hybridation suivi d’un doublement chromosomique qui donne naissance à une espèce entièrement nouvelle, combinant les génomes de deux espèces parentales différentes.
L’allopolyploïdie se produit lorsqu’un hybride issu de deux espèces subit une duplication de ses chromosomes, ce qui lui permet de redevenir fertile.
Sans cette duplication, la plupart des hybrides sont stériles car leurs chromosomes ne peuvent pas s’apparier correctement lors de la méiose.
C'est un "accident" génétique heureux qui a façonné une grande partie du règne végétal. En effet, c’est la principale origine des plantes modernes à fleurs (angiospermes) !
1. Décomposer le mot
Pour comprendre le concept, il suffit de décomposer le terme :
- Allo- : Vient du grec allos, qui signifie "autre" ou "différent". Cela indique que le matériel génétique vient de sources différentes (espèces distinctes).
- -poly- : Signifie "plusieurs".
- -ploïdie : Fait référence au nombre de jeux de chromosomes (le "stock" génétique).
Donc, un organisme allopolyploïde est un organisme qui possède plusieurs stocks de chromosomes provenant d'espèces différentes.
2. Le contexte : La ploïdie "normale"
Pour comprendre l'anomalie, il faut comprendre la norme :
- La plupart des animaux et beaucoup de plantes sont diploïdes (2n). Ils ont deux jeux de chromosomes : un venant du père, un venant de la mère.
- Leurs gamètes (spermatozoïdes, ovules, pollen) sont haploïdes (n). Ils n'ont qu'un seul jeu.
3. Le mécanisme : Comment ça marche ?
L'allopolyploïdie est un processus en plusieurs étapes qui résout un problème biologique majeur : la stérilité des hybrides.
Imaginez deux espèces de plantes différentes, mais proches :
- Espèce A (Diploïde, disons qu'elle a des chromosomes de type "AA").
- Espèce B (Diploïde, avec des chromosomes de type "BB").
Étape 1 : L'hybridation (Le croisement) Un gamète de l'espèce A (A) féconde un gamète de l'espèce B (B). Cela crée un hybride AB.
Étape 2 : Le problème de l'hybride stérile Cet hybride AB a bien deux jeux de chromosomes, mais ils sont différents. Le jeu "A" ne ressemble pas assez au jeu "B". Le problème : Quand cette plante essaie de fabriquer ses propres gamètes (lors de la méiose), les chromosomes ne savent pas avec qui s'apparier. Le chromosome 1 de "A" ne reconnaît pas le chromosome 1 de "B". Le résultat : La méiose échoue, la plante ne produit pas de pollen ou d'ovules viables. L'hybride est stérile (comme le mulet, croisement d'un âne et d'une jument).
Étape 3 : Le "miracle" génétique (Doublement des chromosomes) C'est l'étape clé de l'allopolyploïdie. Parfois, à cause d'une erreur naturelle lors de la division cellulaire de l'hybride stérile, le nombre de chromosomes double spontanément et ne se divise pas.
- L'hybride stérile AB devient soudainement un organisme AABB.
Étape 4 : La fertilité restaurée (Naissance d'une nouvelle espèce) Maintenant, la plante AABB est tétraploïde (elle a 4 jeux de chromosomes). La solution : Lors de la méiose, les chromosomes "A" s'apparient avec les autres "A", et les "B" avec les autres "B". Tout fonctionne ! La plante est fertile. Elle ne peut plus se reproduire facilement avec ses parents d'origine (Espèce A ou B), elle est donc devenue une nouvelle espèce.
Formation des autopolyploïdes et allopolyploïdes

Cette figure illustre les principales voies évolutives menant à la formation des autopolyploïdes et allopolyploïdes à partir de deux espèces diploïdes distinctes. Un ancêtre commun donne naissance aux espèces diploïdes A et B, représentées chacune par des paires de chromosomes colorés différemment.
Les gamètes diploïdes produits par ces espèces peuvent conduire à deux scénarios :
- Autopolyploïdie (AAAA)
Issue de la fusion de gamètes provenant d’une même espèce (A).
Le génome est multiplié sans hybridation : l’organisme résultant possède plusieurs copies du même génome. - Allopolyploïdie (AABB)
Résultant de l’hybridation entre les espèces diploïdes A et B, formant un hybride F1 (AB).
Un doublement chromosomique restaure la fertilité et produit un allopolyploïde combinant les génomes des deux espèces.
Les entités représentées en bas à gauche et à droite correspondent à des paléopolyploïdes, témoignant de polyploïdisations anciennes dans l'évolution.
4. La différence avec l'Autopolyploïdie
Il ne faut pas confondre l'allopolyploïdie avec l'autopolyploïdie :
- Autopolyploïdie : Les jeux de chromosomes supplémentaires viennent de la MÊME espèce (par exemple, une erreur chez une seule plante fait qu'elle passe de 2n à 4n).
- Allopolyploïdie : Les jeux de chromosomes résultent d'une hybridation entre DEUX ESPÈCES DIFFÉRENTES suivie d'un doublement.
Comparaison Allopolyploïdie vs Autopolyploïdie
| Critère | Allopolyploïdie | Autopolyploïdie |
|---|---|---|
| Origine | Hybridation entre deux espèces différentes | Duplication des chromosomes d’une seule espèce |
| Type de chromosomes | Chromosomes non homologues, provenant de deux génomes | Chromosomes strictement homologues |
| Fertilité initiale | Hybride souvent stérile → fertilité récupérée après duplication | Organisme souvent fertile, méiose parfois perturbée |
| Diversité génétique | Très élevée (mélange de deux génomes distincts) | Modérée (simple augmentation du nombre de copies) |
| Exemple | Nicotiana tabacum, blé tendre, coton | Pomme de terre triploïde, luzerne tétraploïde |
| Rôle évolutif | Création rapide de nouvelles espèces | Spécialisation ou gigantisme sans changement d’espèce |
5. Pourquoi est-ce important ?
C'est un phénomène capital, surtout en botanique et en agriculture.
A. Évolution et spéciation C'est un moteur puissant de l'évolution des plantes. On estime qu'une grande partie des plantes à fleurs qui existent aujourd'hui sont issues d'anciens événements d'allopolyploïdie.
B. Agriculture et alimentation Beaucoup de plantes que nous mangeons sont des allopolyploïdes naturels ou créés par l'homme. Ces plantes sont souvent plus grosses, plus vigoureuses et plus résistantes (un phénomène appelé "vigueur hybride").
Quelques exemples bien connus
- Blé tendre (Triticum aestivum) : 6n = allopolyploïde issu de 3 espèces différentes.
- Coton cultivé (Gossypium hirsutum) : tétraploïde (A + D).
- Tabac cultivé (Nicotiana tabacum) : 4n, issu de deux ancêtres américains.
- Canne à sucre moderne : octoploïde complexe.
- Beaucoup de plantes ornementales (certaines Primula, Chrysanthemum, Tragopogon) sont des allopolyploïdes récents.
Schéma des différentes modalités de formation des auto et des allopolyploïdes et transition graduelle de la polyploïdie vers la diploïdie [Figure extraite de Comai (2005)] :

Cette figure n'illustre pas toutes les voies de formation de polyploïdes. Par exemple, bien que les organismes triploïdes y contribuent uniquement à la création d'autotétraploïdes, ils peuvent également engendrer des allopolyploïdes.
Légende du schéma :
- Chaque rond ou ovale coloré dans le contenant nucléaire beige représente un génome haploïde.
- Les formes ovales indiquent une augmentation de la taille du génome, associée à la rétention et à la sous-fonctionnalisation de gènes dupliqués pendant la phase de diploïdisation.
- Les couleurs différentes désignent des génomes divergents (issus d'espèces distinctes).
- Les lignes nucléaires pointillées signalent les états de ploïdie considérés comme fortement instables.
- A et B indiquent le type de génome, et N représente la ploïdie des gamètes.
En résumé
L'allopolyploïdie est le processus par lequel deux espèces différentes se croisent, et leur descendance hybride double son nombre de chromosomes pour devenir une nouvelle espèce fertile, possédant les génomes combinés de ses deux parents. C'est un "accident" génétique heureux qui a façonné une grande partie du règne végétal.